Lucius Annaeus Seneca Quaestiones Naturales

Sénèque, Questions Naturelles. Livre I. Chap XVI

The Natural Questions of L. Annaeus Seneca addressed to Lucilius

[16,1] Hoc loco uolo tibi narrare fabellam, ut intellegas, quam nullum instrumentum irritandae uoluptatis libido contemnat et ingeniosa sit ad incitandum furorem suum. Hostius fuit Quadra, obscenitatis in scaenam usque productae. Hunc diuitem auarum, sestertii milies seruum, diuus Augustus indignum uindicta iudicauit, cum a seruis occisus esset, et tantum non pronuntiauit iure caesum uideri.
[16,2] Non erat ille ab uno tantummodo sexu impurus, sed tam uirorum quam feminarum auidus fuit, fecitque specula huius notae, cuius modo rettuli, imagines longe maiores reddentia, in quibus digitus brachii mensuram et crassitudinem excederet. Haec autem ita disponebat, ut cum uirum ipse pateretur, auersus omnes admissarii sui motus in speculo uideret ac deinde falsa magnitudine ipsius membri tamquam uera gaudebat.
[16,3] In omnibus quidem balneis agebat ille dilectum et aperta mensura legebat uiros, sed nihilominus mendaciis quoque insatiabile malum oblectabat. I nunc et dic speculum munditiarum causa repertum. Foeda dictu sunt, quae portentum illud ore suo lancinandum dixerit feceritque, cum illi specula ab omni parte opponerentur, ut ipse flagitiorum suorum spectator esset et, quae secreta quoque conscientiam premunt quaeque sibi quisque fecisse se negat, non in os tantum sed in oculos suos ingereret.
[16,4] At hercule scelera conspectum sui reformidant. In perditis quoque et ad omne dedecus expositis tenerrima est oculorum uerecundia. Ille, quasi parum esset inaudita et incognita pati, oculos suos ad illa aduocauit nec quantum peccabat uidere contentus, specula sibi per quae flagitia sua diuideret disponeretque circumdedit; et quia non tam diligenter intueri poterat, cum caput merserat inguinibusque alienis obhaeserat, opus sibi suum per imagines offerebat.
[16,5] Spectabat illam libidinem oris sui, spectabat admissos sibi pariter in omnia uiros; nonnumquam inter marem et feminam distributus et toto corpore patientiae expositus spectabat nefanda: quidnam homo impurus reliquit, quod in tenebris faceret? Non pertimuit diem, sed illos concubitus portentuosos sibi ipse ostendit, sibi ipse approbauit: quem non putes in ipso habitu pingi noluisse?
[16,6] Est aliqua etiam prostitutis modestia et illa corpora publico obiecta ludibrio aliquid, quo infelix patientia lateat obtendunt; adeo in quaedam lupanar quoque uerecundum est. At illud monstrum obscenitatem suam spectaculum fecerat et ea sibi ostentabat, quibus abscondendis nulla satis alta nox est.
[16,7] "Simul, inquit, et uirum et feminam patior; nihilominus illa quoque superuacua mihi parte alicuius contumelia marem exerceo; omnia membra stupris occupata sunt: oculi quoque in partem libidinis ueniant et testes eius exactoresque sint; etiam ea, quae a conspectu corporis nostri positio submouit, arte uisantur, ne quis me putet nescire, quid faciam.
[16,8] Nil egit natura, quod humanae libidini ministeria tam maligna dedit, quod aliorum animalium concubitus melius instruxit: inueniam, quemadmodum morbo meo et imponam et satisfaciam. Quo nequitiam meam, si ad naturae modum pecco? Id genus speculorum circumponam mihi, quod incredibilem magnitudinem imaginum reddat.
[16,9] Si liceret mihi, ad uerum ista perducerem: quia non licet, mendacio pascar. Obscenitas mea plus quam capit uideat et patientiam suam ipsa miretur". Facinus indignum! Hic fortasse cito et antequam uideret occisus est: ad speculum suum immolandus fuit.


XVI. 1 Je veux à ce propos te raconter une historiette. Elle te fera comprendre à quel point la débauche ne dédaigne aucun moyen de provoquer le plaisir sensuel, combien elle est ingénieuse à stimuler ses propres égarements. Il s’agit d’un certain Hostius Quadra, dont l’obscénité a été mise sur la scène. Riche, avare, esclave de ses cent millions de sesterces, il fut assassiné par ses gens. L’empereur Auguste estima qu’il n’y avait pas lieu de punir ses meurtriers : peu s’en fallut même qu’il ne les approuvât. 2 L’infamie de ce personnage ne se contentait pas d’un seul sexe ; ses désirs allaient aux hommes comme aux femmes. Il se fit faire des miroirs construits comme ceux dont je viens de parler. Les images y étaient très agrandies ; en longueur et en grosseur, un doigt y dépassait les dimensions de nos bras. Ces miroirs étaient disposés de telle façon que, quand il se livrait à un homme, il pouvait voir tous les mouvements du complice qu’il avait derrière lui, et jouissait de la trompeuse grandeur du membre lui-même, autant que si elle eût été réelle. 3 Quadra courrait, il est vrai, tous les bains publics pour recruter son monde et choisir des hommes en pleine connaissance de leurs proportions. Mais cela ne l’empêchait point d’aviver encore par des images illusoires ses appétits effrénés. Qu’on vienne nous dire maintenant que les miroirs ont été inventés pour servir aux raffinements de la propreté ! On ne peut rappeler sans dégoût ce que disait et faisait ce monstre qu’il eût fallu obliger à se déchirer lui-même de ses propres dents. On plaçait tout autour de lui des miroirs pour qu’il pût être le témoin de ses infamies et souiller, non pas seulement sa bouche, mais aussi ses yeux, d’œuvres qui, demeurées secrètes, n’en pèsent pas moins sur la conscience et que le coupable ne veut pas s’avouer à lui-même. 4 Oui, vraiment, le crime a peur de se voir en face et, chez ceux aussi qui sont corrompus et prostitués à tous les déshonneurs, les yeux gardent une réserve particulièrement susceptible. Mais il ne suffisait pas à Quadra de se prêter à des actes inouïs, inconnus jusqu’alors ; il invitait ses yeux à s’en repaître et, non content de voir son péché dans sa réalité, il s’entourait de miroirs pour multiplier et distribuer dans leurs diverses phases ses honteuses opérations. Et comme il ne pouvait apercevoir toute chose quand il tenait sa tête enfouie et emprisonnée dans les parties secrètes de ses compagnons de débauche, c’est par réflexion qu’il s’en offrait le spectacle. 5 Il pouvait voir alors les dégoûtants plaisirs de sa bouche. Il pouvait voir les hommes auxquels il se livrait de toute manière. Partagé quelquefois entre un mâle et une femelle, abandonnant tout son corps aux outrages d’autrui, il se rassasiait du spectacle de ces abominations. Qu’est-ce que cet être impur a bien pu réserver pour les ténèbres ? Il n’a pas craint le grand jour ; il s’est donné la vue de ces accouplements monstrueux et a pu s’en déclarer satisfait. Il aurait voulu, sois-en sûr, qu’on fît son portrait dans cette attitude. 6 Les prostituées ont encore une certaine retenue ; leur corps est livré à la débauche publique, mais on tend un rideau qui cache leur misérable soumission, tellement il est vrai que même un lieu de débauche montre certaines timidités. Le monstre dont je parle avait fait un spectacle de son obscénité ; il étalait à ses propres regards ce qu’aucune nuit n’est assez profonde pour voiler. 7 « Je subis, disait-il, en même temps un homme et une femme ; cela ne m’empêche pas de faire encore mon office de mâle en déshonorant autrui au moyen de la partie de ma personne qui n’est pas occupée. Tous mes membres sont utilisés pour le stupre ; il faut que mes yeux aussi participent à la débauche, qu’ils en soient les témoins et les contrôleurs. Je veux voir artificiellement ce que la conformation de notre corps dérobe à mes regards, pour que personne ne croie que j’ignore ce que je fais. 8 La nature a eu beau fournir chichement à l’homme les instruments de son plaisir et pourvoir mieux aux accouplements des autres créatures, je trouverai le moyen de duper mes besoins morbides et de les satisfaire. A quoi la dépravation me sert-elle si je pèche à la mesure de la nature ? Je vais m’entourer de miroirs tels qu’ils me renvoient des images incroyablement agrandies. 9 Si c’était possible, je voudrais que cette énormité devînt réelle ; puisque je ne le puis, je me repaîtrai d’illusion. Que mon obscénité voie plus qu’elle ne peut embrasser et qu’elle s’étonne de ce qu’elle peut subir. » Conduite révoltante ! La mort de cet homme a peut-être été si prompte qu’il n’a pas eu le temps de se voir assassiner. On aurait dû l’immoler devant son miroir.
Sénèque, Questions naturelles, Les Belles Lettres, ed. et trad. Paul Oltramare. 1929

At this point I wish to tell you a little story to show you how unscrupulous lust is in seizing every instrument that will rouse passion : so re sourceful is it in goading to madness its own morbid fury. There was one Hostius Quadra whose obscenity formed a model for everything that was lewd on the stage. He was rich and avaricious, a very slave to his millions. He was eventually murdered by his own slaves, but the late Emperor Augustus considered his murder undeserving of punishment, and as good as declared that he had been justly slain. This man s lust knew no distinc tion of sex. Among other things, he had mirrors constructed of the kind just mentioned, that re flected images of abnormal size, causing, for ex ample, a finger to exceed the size of an arm in length and thickness. He so arranged his mirrors that he could see all his accomplices movements, and could gloat over the imagined proportions ; i 3 of his own body. He raised a levy of scamps like himself in all the public baths, where he chose men of the regulation height ; this but whetted his appetite to have his scenes of riot reproduced in false unnatural proportions. Go to, you that say the mirror was invented for purposes of adornment ! I could not soil my pen by recording the foul words and deeds of that monster : he deserved to be torn by his own jaws. To aggravate his guilt, mirrors faced him on every side that he might be a witness of his own infamy. Deeds of darkness, which lie heavy on the conscience, the imputation of which ordinary men will indignantly spurn, weighed so lightly with him that he thrust them before his face, and into his very eyes. Crimes, in faith, usually dread the sight of themselves. Even in those lost to shame, and exposed to every insult, the eye is still delicately susceptible. But that beast thought his unparalleled wickedness but a trifle ; he summoned his eyes to witness it. Aye, not content with seeing his sin, he surrounded himself with mirrors to multiply and group his scenes of vice. Even when he could not 5 see directly, he employed the reflecting power of the mirrors to reveal scenes of revolting and abomi nable iniquity. The filthy blackguard left nothing 6 that could be called a deed of darkness. He had no dread of the daylight, but complacently applauded himself in all his bestial vice. Now, don t you think he would have liked to have his portrait painted in that attitude ? The ministers of public vice draw the veil of modesty over them in part : in fact, a house of ill-fame is in some degree shame faced. But that brute had made an exhibition of 7 his obscenity, and presented to his own sight what the darkest night is not deep enough to hide. I will be out and out bad, was the monster s resolve ; my eyes must share my lust, they must witness and super intend ! By my art I will defeat nature s shyness : 8 nobody must imagine that I do not know what I am about! Nature is niggardly to man, she is more generous to the cattle. I will find means to thwart her, and to indulge my little weakness. My lust shall go one better than nature. I will construct a mirrored chamber that will reflect shapes of enor mous size. I only wish I could make the size real ; 9 but I must be content with the belief of it. My vice must see more than it can compass, and must rest content with wonder at its own restraint. Away with such a fellow ! Perchance he met a speedy death even before he could gloat over the sight. He richly deserved to be offered up as a victim before his own mirror-idol.
Physical science in the time of Nero; being a translation of the Quaestiones naturales of Seneca, John Clarke, London, Macmillan and Co., Limited, 1910.