Dedale n'avoit pas de ses rames plumeuses
Encore traversé les ondes escumeuses,
Par un art qui d'un Roy le rendit triomphant,
Du père le salut et la mort de l'enfant ;
Il n'avoit pas encor, pour la lubrique rage,
Assemblé de cent bois l'incestueux ouvrage
Qui fut du lict royal le reproche éternel
Et rendit l'artisan celèbre criminel,
Quand sa soeur, admirant sa subtile nature
Luy presenta Perdix, sa douce nourriture,
Pour polir son neveu par ses doctes leçons
Et le rendre sçavant entre ses nourrissons.
L'enfant monstra soudain une ame industrieuse,
Capable de conseil, prompte, laborieuse ;
Et le soleil, passant par ses claires maisons,
À peine eut quatre fois produit quatre saisons,
Que ses habiles mains, heureusement guidées
Par un esprit fertil en nouvelles idées,
Formèrent un amas d'ouvrages curieux.
Que Dedale admira, puis en fut envieux.
Perdix, un jour, épris de l'amour de l'estude,
Cherchant polir en jouyr l'heur de la solitude,
Après mille détours, coucha ses membres las
Sur le sueil bien-aymé du temple de Pallas ;
Soudain (qui le croira?), Pomme de sa cervelle
Jupiter fit sortir cette docte pucelle,
Nasquirent du cerveau du jeune vertueux
La scie et le compas, deux enfans monstrueux,
Mais dont l'utilité, dans les arts secourable,
Rend du père à jamais la mémoire adorable.
La scie, en forme d'arc, d’un cry continuel,
D'un naturel entrant, et mordant, et cruel,
Monstroit un rang de dents, long suplice des arbres
Et capable d'ouvrir le coeur mesme des marbres.
Son frère le compas fut pourveu seulement
De jambes et de teste, et marcha justement
Tournant de tous costez par ordre et par mesure,
Et toujours de ses pas traçant quelque figure.
Dedale, qui cherchoit l'apprentif egaré,
Enfin l'appercevant sur le seuil adoré,
Vid le moment natal de ces monstres utiles
Qu'enfantoit son neveu de ses temples fertiles.
Une rougeur jalouse en son front s'épandit,
Et, craignant que par eux il n'entrast en credit,
Soudain de la raison il rejetta l'usage.
L'impiété naquit en son triste courage.
Le respect de sa soeur en vain fit son effort
Du gentil innocent il medita la mort.
(D'une aspre jalousie abominable exemple !)
Il le precipita de la voute du temple.
Mais Pallas, qui prend soin des esprits vertueux
De la cheute arresta le cours impetueux ;
Transformant en oyseau cet ouvrier admirable
Que la fecondité seule avoit fait coupable .
La scie et le compas, temoins de son malheur,
Sentirent l'aiguillon d'une vive douleur ;
Puis redoutant les traits de l'envieuse rage,
Afin de garantir les restes du naufrage,
Changèrent leur regret au soin de se sauver.
La scie, estant sans pieds, ne peût se soulever ;
Et, grondant de dépit de se voir eschoüée,
En accusa le ciel d'une voix enroüée.
Dedale, qui la vid avec ses yeux ardens,
Par mille longs travaux usa toutes ses dents,
Puis retailla d'un fer ses bresches abbatues.
Le compas se sauva sur ses jambes pointues,
Et d'un soin prevoyant, s'estant mis à courir,
Un seul trait ne marqua qui le peût découvrir.
Dedale, trop subtil, eust reconnu ses traces ;
Mais, comme un giboyeur monté sur des eschasses,
Qui sans mouiller ses pieds traverse les marests,
D'un pas viste et leger arpenta les guerets.
Enfin, se trouvant las et loin de la tempeste,
Contre le tronc d'un chesne il appuya sa teste,
Pleurant son père mort et le sort de sa soeur ;
Puis d'un sommeil paisible il sentit la douceur.
Jean Desmarets de Saint-Sorlin

Les amours du Compas et de la Règle,
et ceux du Soleil et de l'Ombre,
à Monseigneur le cardinal duc de Richelieu.
A Paris, chez Jean Camusat, rue Sainct-Jacques, à la Toison d'Or.
M.DC.XXXVII. Avec privilége du Roy.



Portrait d'homme, en pied, assis, de trois-quarts à gauche, tenant un compas et une règle,
Non identifié, 1845,
photographie, pose directe sur cuivre argenté,
Bibliothèque nationale de France,
département Estampes et photographie, EG3-186

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Le soleil, connoissant sa gentille nature,
Et prevoyant l'eclat de sa race future,
Par un songe luy dit : "Lève toy de ce lieu
Tu seras digne espoux de la fille d'un Dieu."
Le compas glorieux se reveille en sursaut,
Emeu de cette veüe et d'un honneur si haut.
Il rend grace au soleil, et, forme comme un aigle,
Le regarde et s'en va, puis rencontre la règle,
Droitte, d'un grave port, pleine de majesté,
Inflexible, et surtout observant l'equité,
Il arreste ses yeux, la contemple et s'estonne.
Aussi tost, pour l'ayrner, son ame l'abandonne.
Et, sans se souvenir des propos du soleil,
Adore ce miracle et le croit sans pareil.
Il l'abborde, et, remply d'un honneste assurance,
Tournant la jambe en arc, luy fait la reverence.
Pour rendre le salut qu'il donnoit humblement,
Elle ne daigna pas se courber seulement.
Pour vaincre ses rigueurs, il luy tint ce langage
"O vous dont la beauté dans ses chaisnes m'engage,
Soulagez, par pitié, mes desirs vehemens,
Et mille biens naistront de nos embrassemens.
Perdix, ce rare esprit, me donna la naissance ;
N'ayez pas à mepris mon utile alliance."
La règle, pour regler ses voeux ambitieux,
Luy dit: "Mon origine est mesme dans les cieux
Celuy dont je tiens l'estre entre les Dieux se nombre,
...
Le compas ressentit un plaisir nompareil,
La connoissant alors pour fille du soleil.
Il vid naistre l'espoir d'acquerir sa maistresse,
Roulant en son esprit la divine promesse.
Doncques, remply d'audace, il luy tint ce discours:
"Et ce mesme soleil m'a promis vos amours.
- Quoy ! dit-elle en riant, je serois la conqueste
D'un amant qui n'auroit que les pieds et la teste ?
Mon père, si puissant, m'imposeroit la loy
De recevoir pour maistre un tel monstre que toy ?
Va presenter ailleurs tes impuissantes flammes,
Amant trop inhabile au service des dames.
- Toutefois nos amours, repliqua le compas,
Produiront des enfans qui vaincront le trepas.
De nous deux sortira la belle architecture,
Et mille nobles arts pour polir la nature.
- N'espère pas, dit-elle, ébranler mon repos
Ou, pour authoriser tes estranges propos,
Tache à plaire à mes yeux par quelques gentillesses,
Et monstre des effets pareils à tes promesses."
Le compas aussi tost sur un pied se dressa,
Et de l'autre, en tournant, un grand cercle traça.
La règle en fut ravie, et soudain se vint mettre
Dans le milieu du cercle, et fit le diamètre.
Son amant l'embrassa, l'ayant à sa mercy,
Tantost s'elargissant et tantost raccourcy ;
Et l'on vid naistre alors de leurs doctes postures
Triangles et quarrez, et mille autres figures.
Richelieu, c'est assez, j'abuse de ton temps,
Repren le fil laissé de tes soins importans.
France, son cher soucy, pardon si je l'amuse
De contes enfantez d'une riante muse .