AUGUST STRINDBERG, HORTUS MERLINI
Lettres sur la Chimie, Sylva Sylvarum
Edition de L’Hyperchimie
Paris, CHAMUEL, ÉDITEUR, 5 rue de Savoie, 1897


DEUXIÈME PARTIE
SYLVA SYLVARUM
CHAPITRE PREMIER
LE CYCLAME ÉCLAIRANT LE GRAND DÉSORDRE ET LA COHERENCE INFINIE


Dans la flore française je trouvai un cyclamen Hederæfolium dont les feuilles ressemblent à celles du lierre.
Dont les feuilles ressemblent à celles du lierre !
Y a-t-il donc une causalité entre la feuille du lierre et le dessin de celle du cyclame ?
La feuille de lierre affecte une forme mathématique appelée cissoïde et découverte par Dioclès.
Dans la géométrie moderne, on la caractérise de la façon suivante :
Une courbe qui suit continuellement les lignes verticales abaissées du Zénith d'une parabole sur leurs tangentes,
ou bien encore ainsi :
Une ligne qui, en cherchant à atteindre son asymptote, figure le dessin de la feuille de lierre.

La forme de la feuille du cyclame est une caustique.
Cette forme, comme on le sait, est le résultat de la réfraction de rayons dans un miroir concave,
ou de leur passage au travers d’une hémisphère, d’un cône ou d’un cylindre transparents.

Si on est assis sous une véranda où les rayons du soleil pénètrent après avoir passé par un feuillage touffu,
on voit se dessiner sur le plancher, une quantité d’ellipses produites par les cônes lumineux
qui percent le feuillage et qui sont coupés par le plancher.


Ces ellipses sont donc des sections de cônes.
Que peut-il bien se passer alors dans la forêt sous le feuillage touffu ?
Cela est difficile à calculer, mais n’empêche point la pensée de se représenter à l’avance
le jeu des lignes qui doivent naître de toutes les sections coniques
auxquelles se rattachent la parabole et l’hyperbole en relation intime avec les cissoïdes et les caustiques.

Exotériquement et plus simplement,
la feuille de lierre a-t-elle, en couvrant le chlorophylle si sensible à la lumière de la feuille de cyclame,
pris une image positive ?
C’est là une question que le partisan de la théorie mécanique a le droit de poser.
Un autre serait en droit de se demander avec Bernardin de Saint-Pierre et Elias Fries :
Le cyclame a-t-il trop regardé le lierre, en a-t-il eu des envies,
et conservé une macule ou une tache de vin comme les femmes enceintes ?


Il est reconnu que le soleil est un photographe merveilleux !
Voyez l’intérieur de la rose qui projette au moyen de ses miroirs concaves,
ses rayons jaunes en figures caustiques sur le sommet des étamines.
Regardez les dessins des feuilles de trèfle et voyez si on ne peut les construire de l’ellipse.
Pensez au dos du maquereau où les vagues vertes de la mer sont photographiées sur argent.

Mais si avec Bernardin de Saint-Pierre,
on veut rendre croyable que le tournesol a atteint le degré le plus élevé de l’échelle végétale,
puisqu’il a pu rendre l’image du soleil, avec son disque, ses rayons et ses taches,
ce qu’on ne peut encore expliquer par la physique, c’est là du mysticisme !



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