Descartes, Discours de la Méthode. 40.

Nous pouvons bien imaginer distinctement
une tête de lion sur le corps d'une chêvre,
sans qu'il faille conclure pour cela qu'il y ait au monde une Chimère.
 
 
 
 
 
 
 



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Lucrèce, De la Nature. II. 688.

À tout endroit de nos vers eux-mêmes
de nombreuses lettres t'apparaissent communes à de nombreux mots,
& pourtant il te faut avouer que les vers & les mots diffèrent entre eux,
que chacun est formé d'éléments particuliers;
non  qu'ils n'aient que peu de lettres communes,
ou que jamais deux mots ne soient composés des mêmes lettres,
mais parce qu'en général les ensembles ne sont pas pareils de tout point.
De même les autres objets,
bien que beaucoup de leurs éléments leur soient communs avec beaucoup d'autres corps,
peuvent néanmoins différer entre eux dans l'ensemble:
aussi l'on a le droit de dire que le genre humain, les moissons, les arbres vigoureux
sont composés différemment.

700.
Pourtant il ne faut pas croire que tous les éléments puissent se combiner de toutes les façons:
autrement partout on verrait se créer des monstres, des êtres mi-hommes, mi-bêtes, venir au monde,
parfois aussi de hautes branches s'élancer d'un corps vivant,
des membres d'animaux terrestres s'unir à des parties d'animaux marins,
& même des chimères soufflant la flamme de leur gueule effroyable
que nourrirait la nature sur la terre mère de toutes choses.




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Lucrèce, De la Nature. IV .724.

De toutes parts errent en foule des simulacres de toutes espèces,
subtils,
& qui dans les airs n'ont pas de peine,
en se rencontrant,
à se souder les uns aux autres,
comme des toiles d'araignée ou des feuilles d'or.

740.

Un centaure,
ce n'est certes pas l'image d'un être vivant,
mais un hasard a rapproché l'image d'un cheval de celle d'un homme,
& aussitôt les images ont fait corps avec facilité.
 
 

 

 

 

 


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Ambroise Paré, Liv. XIX, Des monstres et prodiges, Chap. XXVI.

Ainsi qu'on voit aux nuées se former plusieurs & divers animaux,
& autres choses diverses,
à savoir
centaures,
serpents,
rochers,
châteaux,
hommes & femmes,
oiseaux,
poissons
& autres choses:
ainsi les démons se forment tout subit en ce qui leur plaît,
& souvent on les voit transformés en bêtes,
comme serpents, crapauds, chats-huants, huppes, corbeaux, boucs, ânes, chiens,
chats, loups, taureaux & autres;
voire ils prennent des corps humains vifs ou morts, les manient les tourmentent,
& empêchent leurs oeuvres naturelles;
non seulement ils se transmuent en hommes, mais aussi en Anges de lumière:
ils font semblant d'être contraints,et qu'on les tient attachés à des anneaux,
mais une telle contrainte est volontaire & pleine de trahison.


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Euclide,
Catoptrique, proposition 29.

Il est possible de construire un miroir tel que plusieurs figures y apparaissent:
les unes plus grandes,
les autres plus petites;
les unes plus rapprochées,
les autres plus éloignées;
les unes dont les parties à droite apparaissent à droite
& les parties à gauche à gauche;
les autres dont les parties à gauche apparaissent à droite,
& les parties à droite à gauche.





 

 

 

 


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Kircher, Ars magna lucis et umbrae. Magia Catoptrica. Métamorphose I.

Construire avec un miroir plan une machine catoptrique de la manière que l'homme regardant le miroir,
se voit porter au lieu d'une tête humaine, une tête d'âne, de boeuf, de cerf, d'oiseau de proie ou d'autres animaux.
Métamorphose V. (miroir elliptique concave)
Si tu t'y regardes, tu verras ta tête s'étirer progressivement en cône, puis apparaître 4, 3, 5 & 8 yeux.
Au même instant la bouche devient pareille à une caverne
avec les dents pointant comme des rochers abrupts.
Dans la largeur du miroir tu te verras d'abord sans front,
puis recevant des oreilles d'âne sans que la bouche ou les narines soient modifiées.
On peut produire ainsi des formes qui font voir des gueules édentées de monstres,
tels qu'on en trouve sur les rivages saxons,
puis brusquement des doubles, des triples têtes.
On ne saurait décrire avec des mots toute la diversité de ces hideuses apparitions.
Métamorphose VI.
Si tu t'y regardes directement tu verras ta face changée en tête de grue & ton cou devenir très long.
Si tu t'y regardes obliquement ce seront comme un jet d'eau avec un roc
ou bien une corne de rhinocéros qui jailliront de ton front renversé.
Si tu veux montrer une chèvre,
prends un miroir ondulé avec deux bosses et tu te verras sous l'aspect d'un satyre cornu,
ridé, horrible, la bouche ridiculement béante.
Avec un miroir à protubérences ramifiées tu regarderas une tête de cerf.
En un mot, il n'existe pas de monstre sous la forme duquel tu ne puisses te voir
dans un miroir combinant le droit et le courbe


 




Descartes, L'Homme, éd. 1664.

Mais si plusieurs diverses figures se trouvent tracées en ce même endroit du cerveau,
presqu'aussi parfaitement l'une que l'autre, ainsi qu'il arrive le plus souvent,
les esprits recevront quelque chose de l'impression de chacune,
& ce, plus ou moins, selon la diverse rencontre de leurs parties.
Et c'est ainsi que se composent les chimères,
& les hippogriffes,
en l'imagination de ceux qui rêvent étant éveillés,
c'est à dire qui laissent errer nonchalamment çà & là leur fantaisie,
sans que les objets extérieurs la divertissent, ni qu'elle soit conduite par la raison.


 
 
 
 
 
 






Léonard de Vinci,
Carnets, B.N, Ms Italien 2038, fol. 29.

Tu sais que tu ne peux faire un animal
dont les membres n'offrent de ressemblance avec ceux de quelque autre.
Si donc tu veux donner apparence naturelle à une bête imaginaire,
- supposons un dragon-
prends la tête du mâtin ou du braque,
les yeux du chat,
les oreilles du porc-épic,
le museau du lévrier,
les sourcils du lion,
les tempes d'un vieux coq et le col de la tortue.


 
 
 
 
 


 
 
 
 
 




Descartes, Méditations. I.

Car de vrai, les peintres,
lors même qu'ils s'étudient avec le plus d'artifice à représenter des Syrènes & des Satyres
par des formes bizzares et extraordinaires,
ne leur peuvent pas toujours attribuer des formes & des natures entièrement nouvelles,
mais font seulement un certain mélange & composition des membres de divers animaux;
ou bien, si peut-être leur imagination est assez extravagante
pour inventer quelque chose de si nouveau que jamais nous n'ayons rien vu de semblable,
& qu'ainsi leur ouvrage nous représente une chose parfaitement feinte & absolument fausse,
certes à tout le moins les couleurs dont ils le composent doivent-elles être véritables.
 




 
 
 
 
 
 





Voltaire, Exposition du livre des institutions physiques de madame le marquise du Châtelet.

Le sage Locke regarde l'essence des choses uniquement comme une idée abstraite
que nous attachons aux êtres,
soit qu'ils existent ou non.
Par exemple, une figure formée de trois côtés est appelée du nom de triangle;
nous appelons ainsi tout ce que nous concevons de cette espèce.
C'est là son essence; c'est ce qui est, soit dans notre imagination, soit en effet.
Ainsi, comme nous nous sommes fait l'idée d'un évêque de mer,
l'essence de cet être imaginaire est un poisson qui a une espèce de mitre sur la tête.

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Boaistuau Pierre, Histoires prodigieuses.  Chapitre 18.

Je pourrois encore faire mention de plusieurs monstres aquatiques estranges,
qui ont esté veus de nos ans;
comme de celuy qui avoit figure d'un moyne, l'autre d'un Evesque, & quelques autres semblables.